LARYNGECTOMIE PARTIELLE SUPRACRICOÏDIENNE AVEC CRICO-HYOÏDO-EPIGLOTTOPEXIE (CHEP)
La laryngectomie supracricoïdienne avec crico-hyoïdo-épiglottopexie, ou CHEP, est une laryngectomie partielle dite subtotale. Cette chirurgie emporte les cordes vocales, la majeure partie des plis vestibulaires, les ventricules, l’épiglotte sous-hyoïdienne, une partie de la loge hyo-thyro-épiglottique (HTE), les espaces paraglottiques, et la quasi-totalité du cartilage thyroïde​.
​
Ses indications sont des tumeurs glottiques T1 à T2, idéalement cN0, pour lesquelles une exérèse par voie trans-orale ou une radiothérapie (moins morbides) n’ont pas été retenues.
​
Ses contre-indications sont les suivantes :
-
BPCO, insuffisance respiratoire (car la majorité des patients deviennent micro-inhalateurs chroniques)
-
Patient ayant une indication attendue de radiothérapie postopératoire (préférer alors un traitement médical exclusif, si patient cN+ par exemple)
-
Atteinte marquée de l’étage supra-glottique (discuter d’une crico-hyoïdopexie si la loge HTE, l'épiglotte ou les plis vestibulaires sont envahis)
-
Atteinte sous-glottique, de la commissure postérieure ou de la margelle laryngée
-
Hémi-larynx fixé
​
L’antécédent de radiothérapie cervicale n’est pas une contre-indication mais rend les suites opératoires plus complexes et les résultats fonctionnels plus hasardeux.
​
NB : en cas de tumeur franchissant la « magic line » (plan coronal passant par l’extrémité du processus vocal), le pronostic fonctionnel et oncologique est moins bon.
​
​Stratégie ganglionnaire (peu protocolisée) :
- cT1-T2 N0 du plan glottique : pas de curage ganglionnaire
- cT3N0 du plan glottique : curage (II-IV) au moins homolatéral
- cT1-T2 N0 sus-glottique : curage (II-IV) au moins homolatéral (possible surveillance simple sans curage pour les cT1N0)
- cT3N0 sus-glottique : curage (II-IV) bilatéral
- N+ : curage (II-IV) bilatéral
​​​
Le dogme de toute laryngectomie partielle est la préservation d’une unité cricoaryténoïdienne fonctionnelle et d'au moins un nerf hypoglosse et un nerf laryngé supérieur.
PLAN
1. Installation
Décubitus dorsal – tête en légère hyperextension.
​
Mise en place d’une sonde nasogastrique.

Champage stérile du menton en haut aux clavicules en bas, en laissant visible le lobule des oreilles.
​
Incision, à hauteur du ligament cricothyroïdien, au travers de laquelle devra être positionnée la trachéotomie.
​

Dessin préopératoire, sans curage ganglionnaire
2. Lambeau sous-platysmal et ± évidements cervicaux
Un lambeau cutanéo-platysmal est relevé jusqu’à hauteur de l’os hyoïde, en passant médialement dans le plan de l’aponévrose cervicale superficielle.
Ligature des veines jugulaires antérieures.
On procède à l’évidement de l’aire VI pré-laryngée (aponévrose cervicale superficielle et tissu cellulo-graisseux superficiel aux muscles infra-hyoïdiens).
En cas de ganglion pré laryngé cliniquement suspect, demande d’examen extemporané pour réaliser les curages bilatéraux, s’ils n’étaient pas prévus, en cas d’extemporanée positive.
​
Si indiqués, les évidements ganglionnaires peuvent être réalisés lors de ce temps et concernent les aires II, III et IV.
3. Préparation de la trachée
Réclinement latéral des muscles sterno-hyoïdiens.
​
Isthmotomie thyroïdienne et réclinement latéral de chaque lobe, sans aller plus latéralement que la corne inférieure du cartilage thyroïde afin de rester à distance des nerfs laryngés inférieurs.
Libération des attaches antérieures et latérales de la trachée jusqu’au 5ème anneau trachéal au moins (en prévision d’une forte ascension lors de la pexie).
4. Squelettisation du cartilage thyroïde

Cartilage thyroïde, Gray's Anatomy
Après reclinement ou section du muscle sterno-hyoïdien, libération des attaches musculaires sur le cartilage thyroïde de dedans en dehors (muscles sterno-thyroïdiens, thyro-hyoïdiens, et constricteurs inférieurs du pharynx latéralement).​

Insertions musculaires du cartilage thyroïde, d'après Henry Vandyke Carter, Gray's Anatomy
Note : A aucun moment on ne squelettise l’os hyoïde dans une CHEP (au contraire de la CHP où on ira chercher son bord inférieur afin de pénétrer en transvalléculaire dans le larynx).​
Libération de la corne supérieure du cartilage thyroïde avec section du ligament thyro-hyoïdien latéral en préservant le rameau interne du nerf laryngé supérieur qui la croise superficiellement.​

Nerf laryngé supérieur et ses rapports, d'après Gray's Anatomy
Avec un décolleur, ruginer la face interne des lames thyroïdiennes sur un tiers de leur largeur pour décoller les sinus piriformes (comme lors d’une laryngectomie totale).
​
Libération des attaches du muscle cricothyroïdien sur le cartilage thyroïde.
​
En inférieur, individualisation de la corne inférieure puis section de celle-ci (qui ne sera pas retirée) au niveau ou au-dessus du rebord inférieur du cartilage thyroïde.
​
Note : une autre technique existe concernant la libération de la corne inférieure, plus risquée pour le rameau externe du nerf laryngé supérieur avec une poursuite du décollement sous-périchondral de manière à désinsérer la corne inférieure de l’articulation cricothyroïdienne.​
5. Trachéotomie
Réalisation systématique d’une trachéotomie, bas-située, habituellement entre le 4ème et le 5ème anneau trachéal, en réalisant une incision interannulaire simple, sans volet (pour préserver de la trachée saine dans l’éventualité d’une laryngectomie totale à l’avenir).
​
En cas de trachéotomie trop haut-située, la canule insérée au travers de l’incision cutanée risquerait de tirer le larynx vers le bas et donc de fragiliser la pexie. Préférer donc une trachéotomie bas-située, qui va « soutenir » le larynx et diminuer les contraintes sur la pexie.
Lorsque la pexie sera réalisée, la trachée sera ascensionnée et la trachéotomie se retrouvera alors en regard de l’incision cutanée.​
6. Laryngotomies et exérèse
La position de la ou des laryngotomies doit être adaptée à l’extension tumorale. Classiquement, on effectue une laryngotomie inférieure et supérieure.
​
Réalisation d’une laryngotomie inférieure au travers du ligament cricothyroïdien. Cette première entrée dans le larynx permet de vérifier l’absence d’extension tumorale sous-glottique significative. En cas de découverte d’une telle extension, une conversion en laryngectomie totale est alors nécessaire.
​
Disséquer la loge HTE (que l’on préserve, en postérieur) du cartilage thyroïde (que l’on résèque, en antérieur) sans se rapprocher du plan glottique.
Réaliser une laryngotomie supérieure au niveau de l'échancrure thyroïdienne, avec une lame froide orientée à 45° vers le bas. L’objectif est d’ouvrir le larynx au travers du pied de l'épiglotte, sans s’approcher du plan glottique et de la tumeur, et sans emporter trop d’épiglotte (passer à la jonction 1/3 - 2/3 inférieurs).
Repère important : la commissure antérieure est située entre l’échancrure et le bord inférieur du cartilage thyroïde, à la jonction entre le 1er et le 2ème quart inférieur de sa hauteur.

Vue sagittale du larynx, d'après l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale
Exérèse pas-à-pas de la tumeur, sous contrôle de la vue, aux instruments froids ou au bistouri électrique (Cut). Débuter du côté sain (ou du côté le moins malade) par la section du pli vestibulaire (sa partie postérieure peut souvent être gardée), puis passer au contact du processus vocal (désinsérer la corde vocale) et rejoindre la laryngotomie inférieure.
A ce moment, il est possible de fracturer le cartilage thyroïde à la main, au niveau de son angle dièdre, pour « l’ouvrir » comme un livre et mieux visualiser la tumeur.
​
On achève alors l’exérèse du côté malade, qui peut ou non emporter un cartilage aryténoïde.
​
L’objectif de marges macroscopiques doit être d’environ 3 mm, pour des marges histologiques de 2 mm. Du fait de la quasi-impossibilité d’une éventuelle reprise pour marges, l’utilisation d’analyse extemporanée est recommandée au moindre doute.
​
Note : En fin d’exérèse, vérifier que la totalité des ventricules a été réséquée, pour prévenir la formation d’un laryngocèle.
7. Pexies et reconstruction laryngée
Si un aryténoïde a été retiré, il est possible de faire un point de Vicryl 3.0 entre le bourrelet muqueux aryténoïdien (muqueuse résiduelle qui recouvrait l’aryténoïde sacrifié) et le pli vestibulaire résiduel pour éviter l’affaissement de la margelle laryngée.
Pour certains, un point lâche (afin de ne pas fixer l'aryténoïde) peut être fait entre l’aryténoïde et la berge muqueuse cricoïdienne en avant, pour repositionner les cartilages aryténoïdes spontanément attirés en arrière.
Il est également possible de faire un point entre le reliquat de pli vestibulaire (côté sain) et la berge muqueuse cricoïdienne en avant, pour abaisser le pli vestibulaire.
​
Note : pour certains, il est recommandé de vérifier la perméabilité du sphincter supérieur de l’œsophage au doigt et, le cas échéant, d’effectuer une section du muscle cricothyroïdien sans s’approcher des nerfs laryngés inférieurs (section postérieure médiane).
Passer 3 (voire 5) points de pexie au Vicryl 0 ou 1 sous-muqueux, espacés de 5 mm environ, en passant sous l’arc cricoïdien, en sous-muqueux au niveau sous-glottique, en sous-muqueux au niveau de la partie inférieure de l’épiglotte résiduelle, puis au contact de l’os hyoïde.
Serrer les nœuds en commençant par les deux points latéraux, à serrer en même temps, tout en fléchissant le cou pour limiter la tension sur la pexie. Les nœuds de la pexie doivent être bien serrés pour une fermeture la plus étanche possible.

​
Vérifier le bon positionnement de la pexie et du bloc cartilage cricoïde - épiglotte - os hyoïde (l’os hyoïde doit venir recouvrir le cricoïde).
Une pexie mal réalisée peut fermer le larynx et entraîner une dyspnée ou au contraire l’ouvrir et entraîner des troubles de déglutition.​​
8. Fermeture
Suture des muscles infra-hyoïdiens ensemble. Couvrir la pexie en suturant les muscles sterno-hyoïdiens sur la ligne médiane.​​
Mettre en place un système de drainage sans aspiration (lame, crins, drain perdu) pour éviter l'emphysème sous cutané ou bien de drains aspiratifs en cas de curage.
​
Fermer la peau en deux plans.
​
Note : on peut laisser la trachéotomie dans l’incision initiale ou on peut également refaire une incision plus basse séparée pour limiter la communication entre la zone opérée et la zone de trachéotomie, dans ce cas, il faut éviter de disséquer de manière trop importante le tissu pré-trachéal.
9. Suites opératoires
En postopératoire, le patient a pour consigne d’éviter l’hyperextension et d’aspirer sa salive plutôt que de la déglutir.
​
Les lames sont retirées à J2.
​
Un pansement appliquant peut être mis en place jusqu’à J2.
​
Pour éviter la stagnation de salive dans le larynx, il est possible de purger la salive située au-dessus du ballonnet régulièrement, soit grâce aux canules munies d’une aspiration sous-glottique, soit en effectuant des purges 1 à 2 fois par jour (dégonfler le ballonnet – aspirer les sécrétions trachéales – regonfler le ballonnet).
​
Le ballonnet peut être dégonflé au plus tôt à J2.